Kuala Lumpur, le 18 novembre.
Enfin, nous avons rendez-vous pour les visas. Après 3 contrôles de sécurité pour entrer dans l’ambassade, nous prenons notre numéro, le 71, et patientons dans la grande salle d’attente climatisée à l’excès. Welcome. Une bande promotionnelle pour l’Amérique répète ce message en boucle. L’attente est longue. Les numéros sortent dans le désordre. Le nôtre n’apparaît jamais. Au bout de deux heures, nous jouons au loto et demandons en riant « coup de sac » ! Rien n’y fait ! Le 71 n’apparaît pas. Finalement, après 3 heures dans ce frigo, nous découvrons une seconde salle d’attente, moins froide. Nous nous y installons et réalisons qu’il s’agit en fait de la salle des entretiens : imaginez le hall d’un bureau de poste, avec une dizaine de guichets vitrés, derrière lesquels se tiennent les interviewers. Pour communiquer, un micro est à la disposition des postulants, tandis que les paroles du préposé aux visas sont crachées par haut-parleur dans toute la salle. Nous entendons alors les questions et les réponses de chacun, comme tous ceux qui attendent avec nous sur les bancs. Ici, pas question de crier « coup de sac » ! On se tient à carreau. Notre tour vient enfin.
- Pourquoi voulez-vous aller aux usa ? demande l’homme en regardant le sol.
- Nous y passons deux jours, dire bonjour à un cousin avant de partir visiter le Mexique. Ensuite, nous revenons 6 semaines plus tard à LosAngeles pour prendre l’avion pour le Chili, où nous récupérons notre camping-car. Nous faisons un tour du monde...
- Combien ça coûte ?
- Pardon ?
- Combien ça coûte votre voyage ?
- Euh, je ne sais pas exactement…
- Vous payez comment ?
- Nous avons tout vendu en Suisse et…
- Combien avez-vous sur votre compte ?
- Euh, eh bien environ…
L’homme répète bien fort le montant dans le haut-parleur. Thierry se retourne et sourit à l’assistance. Maintenant vous savez ce que vaut une maison en Suisse…
- Et les billets, ça vaut une fortune pour 6. Combien ?
- Environ 500 dollars.
- Ca fait 3'000 dollars en tout, plus ceux pour le Chili ?
- Oui.
- Et comment vous gagnez cet argent ?
- Je vous ai dit, d’une part, nous avons tout vendu et…
- Un instant.
L’homme boucle le micro et s’en va. Il revient deux minutes plus tard.
- Nous ne pouvons pas vous donner les visas. Nous pensons que votre projet est de vous installer aux usa et d’y travailler. Vous n’avez plus d’attaches nulle part, ni en Suisse, ni en Malaisie. Désolé. Procédez je vous prie.
Et voilà 510 dollars à la poubelle ?! ?! Le sang ne fait même pas un tour en Thierry.
- Excusez-moi, je vous dis que nous faisons un tour du monde, notre but est de découvrir et parcourir le monde, non de nous enfermer clandestinement dans un pays. Seuls nos trois enfants ont besoin d’un visa, parce que…
- Ca ne change rien.
- Nous venons de Suisse. Nous ne pouvons pas avoir d’attaches en Malaisie.
- Peu importe.
- Je reçois de l’argent aussi de mon entreprise…
- Vous avez dit que vous avez tout vendu.
- Oui, c’est vrai aussi, seulement vous m’avez interrom...
- Rien ne le prouve.
- Voilà notre site internet, le billet du bateau, une photo du camping-car…
- Ca ne prouve rien. Désolé, votre temps est écoulé.
La discussion a captivé visiblement toute l’assistance qui n’en a pas manqué un mot grâce à l’application de l’homme à répéter tout ce que Thierry tentait de dire discrètement dans le micro. Fin. Nous n’irons pas usa. Appel à l’ambassade de Suisse. L’homme est doux, compréhensif, chaleureux. Plutôt que de tenter quoi que ce soit avec l’ambassade américaine, il nous propose de faire des passeports biométriques pour les trois enfants, au tiers du prix des visas américains. Si on avait su ! Mais il y a un hic : nous n’avons plus aucune envie de passer, ni même de survoler ce pays ! Quelques informations prises sur internet finissent de nous convaincre : même avec des papiers en règle, de nombreuses personnes se sont vues refuser l’accès à l’avion sans raison. Avec notre expérience à l’ambassade, rien ne nous assure que nous pourrons embarquer. Nous sommes louches et vils. Menteurs, nous sommes sinon dangereux, à coup sûr des profiteurs ! Nous l’avons compris aux regards reçus lors de l’entretien. L’homme nous méprisait. Son arrogance était empreinte de violence. Contagieuse. La haine s’est installée dans nos cœurs, le temps de quelques jours. C’est décidé, nous n’irons pas au usa. Franchement, on aurait mieux fait de répondre oui à leurs conneries de questions sur internet, on se serait au moins amusé un peu !