1ère Partie. Le Nord.
Moyale – Isiolo : LA piste du Nord Kenya
Retrouvez la description de la piste dans les conseils pratiques
Le mythe : Moyale est la ville frontière entre l’Ethiopie et le Kenya. Isiolo est la première petite ville digne de ce nom au Kenya, 500 km plus loin. Entre les deux : une piste, connue et reconnue pour être épouvantable. Sincèrement, avant d’entreprendre le voyage, nous étions tous tendus, même si Thierry et Miguel comptaient bien démystifier cette piste. Aujourd’hui, nous ne démystifions pas : la piste est terriblement éprouvante.
Le contexte : cette région nord du Kenya est laissée à l’abandon par le gouvernement. Aucune infrastructure n’y est développée. La population souffre de famine depuis toujours mais particulièrement depuis 2005. Des conflits tribaux sont fréquents, ainsi que les vols et règlements de compte. On fait mention de quelques attaques contre des touristes. En principe, on traverse la région en convoi ou sous escorte policière. Le convoi est impossible à suivre pour nous et l’escorte policière coûte une fortune pour pas grand-chose. Nous avons donc décidé de nous escorter entre nous, avec les Sanagustin. Cela dit, il est formellement déconseillé de circuler de nuit et absolument recommandé de passer la nuit auprès d’un poste de police, un hôtel ou une église… en théorie !
La route : la route est absolument misérable. Sur plus de 100 km, on roule dans un pierrier, dans lequel on risque de s’enliser comme dans du sable et dont les pierres sont tranchantes, grosses et dures. Par endroits, les ornières creusées par les camions atteignent 60 cm de profondeur. A aucun moment, nos camping-cars ne peuvent suivre les traces. Nous devons en permanence « surfer » sur les bordures en évitant de glisser dans les ornières. Des bancs de sables créent des obstacles inattendus et des centaines de kilomètres de tôle ondulées soumettent les véhicules et les passagers à des vibrations intenses et incessantes. Nous n’avons croisé ou rencontré que 2 à 3 véhicules par jour, qui roulaient pratiquement comme sur route normale, en déjouant les lois de la physique et en jouant avec la chance à chaque tour de roue…
L’aventure : pour éviter les casses et ne pas prendre de risques, nous avons adopté un rythme adapté à nos véhicules inadaptés à ce terrain…Nous avons parcouru les 500 km en 5 jours, en roulant 10 à 12 heures par jour… Malgré cela, nous avons eu quelques soucis. Un jour Miguel a perforé son carter d’huile sur un caillou. A 16h, arrêté au milieu de la piste, il démonte le carter et le répare avec une pâte de secours spécifique. A 18h, nous versons 5 litres d’huile dans le carter « réparé » et atteignons le village à la tombée de la nuit. OUF ! Mais la réparation n’est pas optimale et le carter fuit légèrement… Le lendemain, une seconde d’inattention entraîne Miguel dans une bordure de gros galets dans laquelle il s’enfonce et pose son châssis. Après avoir creusé, poussé et placé des plaques de désensablage pendant environ une heure, nous avons pu finalement remorquer le "Sans souci" (Camping car des Sanagustin) avec Casita et le remettre en piste. Il était 18 heures et la nuit tombait, tandis que nous avions encore environ 20 km à parcourir pour nous mettre à l’abri. C’est alors que nous avons dû choisir quelle règle élémentaire de sécurité enfreindre ! Nous avons choisi de rouler de nuit jusqu’au village. 20 kilomètres dans la nuit noire, dans les ornières, à éviter les trous, les pierres, l’ensablement et avec un carter qui fuit sur le « Sans souci » et qui menace à tout instant de déverser toute son huile sur la piste… Le soulagement à l’arrivée fut à la hauteur de la tension qui nous a habités pendant ces 2 heures de routes interminables…
Les à-côtés : en parcourant cette région du Kenya, on traverse des villages tribaux et on aperçoit quelques femmes Samburus, seins nus couverts de colliers imposants et des hommes qui portent des sortes de « perruques » indiennes. Ces hommes et ces femmes sont vêtus de couleurs flamboyantes et sont magnifiques… mais ils ne veulent pas être photographiés. Désolé.
Casita : nous avons été impressionnés par les performances de Casita. Elle a parcouru les 500 km sans soucis et sans aucun problème. Nous n’avons connu ni crevaison, ni casse, ni rien. Les seuls ennuis consistaient à retirer les pierres qui se nichaient entre les roues jumelées… puis, à l’arrivée, à se débarrasser des kilos de poussières récoltés tout au long du chemin…
Chapeau : nous souhaitons donner un coup de chapeau à toute notre équipée : les sixenroute et les trois Sanagustin. Franchement, nous sommes fiers de nous, très fiers !! Nous avons roulé dans des conditions insupportables, par 38° à 42 °C. Nous avons eu des soucis, des craintes, des tensions et du stress en permanence et pourtant… Nous avons su rester calmes, sereins, à l’écoute des uns et des autres et unis, soudés et solidaires. Le ton est resté aimable. Les enfants, en particulier, nous ont impressionnés. Ils sont restés 12 heures par jour, 5 jours consécutifs, dans nos camping-cars, sans crier, sans geindre et sans causer de soucis supplémentaires. Ils n’ont pu bénéficier que de 1 à 2 heures de décompression chaque soir… Alors à tous : chapeau et merci !
Hommage : nous ne pouvons pas nous féliciter, sans avoir une pensée émue pour la famille Marais qui a accompli cette route, il y a dix ans, avec leur trois enfants, à la fin de leur voyage autour du monde de 4 ans… Ce sont eux qui nous ont permis d’y croire. Ce sont eux qui nous ont accompagnés dans nos pensées, en même temps que nos proches, tout au long du parcours. Ils ont ouvert une voie pour camping-car en 2003 sur cette piste d’enfer et nous sommes heureux de l’avoir accomplie à notre tour, dans le sens contraire. Merci à eux. (Voir leur site)
Réserve de Samburu : beaucoup d’émotions…
Peu avant d’arriver à Isiolo et de retrouver le bitume, nous avons choisi de nous offrir un cadeau, une récompense pour les efforts fournis sur cette piste : un safari dans la réserve nationale de Samburu. Quel bonheur et quelle joie intense ! Nous avons pu sillonner la réserve au volant de Casita et bénéficier ainsi de notre toit panoramique. Les enfants et Véro se sont installés dans la capucine et Thierry au volant. Un tuyau d’arrosage nous servait d’interphone entre l’étage du haut et le pilote… Nous avons alors roulé à la rencontre des girafes, des gazelles, oryx, éléphants, lions, buffles, phacochères, zèbres, babouins et autres dik-dik et singes…
Nous étions en train de regarder une girafe qui se dressait à 5 mètres de nous, quand nous avons aperçu une horde d’éléphants juste plus loin. C’est en cherchant à les voir mieux, que nous avons vu passer, 2 lionnes et 5 lionceaux, à 10 mètres de Casita… Nous pouvons vous dire que cet instant a été une pure merveille, magique et intense… Mais sachez, qu’il reste presque banal, à côté des yeux emplis de larmes de nos 4 loulous émerveillés qui bredouillaient : « c’est trop beau… c’est trop beau… » avec des sanglots dans la voix… Imaginez. Nous étions tous les six en larmes dans Casita, envoûtés et submergés par tant de beauté.
Un peu plus tard, nous avons croisé une autre horde d’éléphants qui se nourrissaient. Nous les avons approchés à 15 mètres et les avons observés une heure durant. Fascinant. Un babouin s’est pointé et est venu nous jauger du regard à 2 mètres de Casita… Nous avons alors fermé le toit… Puis, un éléphant s’est avancé, a gratté la patte au sol et secoué les oreilles… Lentement mais franchement, nous avons reculé…
Les tableaux naturels que nous avons pu admirer sont féériques. Les gazelles broutent à côté des phacochères, sous le regard haut des girafes… Et au milieu de tout cela, Casita se fraie un chemin, s’arrête et nous permet de vivre la nature dans toute sa splendeur, sa tendresse et son intensité…
Nous avons eu très peur en revanche, lorsque nous avons dû remorquer le "Sans souci" des Sanagustin qui s’était posé sur le sable, dans une pente infranchissable. Le véhicule menaçait sérieusement de se retourner et il nous fallait le sortir de là… où nous avions croisé les 7 lions 3 minutes plus tôt ! En fin de journée, nous avons dû changer une roue crevée sur le "Sans souci"… En partant, nous avons découvert que 4 énormes buffles étaient postés à 10 mètres de là…
Pour terminer, nous aimerions vous raconter le miracle du parc Samburu : en décembre 2001, une lionne a adopté un jeune oryx… Pendant une semaine, la jeune gazelle s’est promenée à côté de la lionne et cette dernière lui prodiguait les mêmes soins qu’à ses petits… Deux mois plus tard, une seconde adoption a eu lieu… Ici, on appelle cela : le miracle. Nous on se dit que tant qu’on la laisse vivre, la nature n’a pas fini de nous surprendre… et de nous en apprendre !
Kenya : premières impressions
Une fois arrivés à Isolo, nous découvrons le « vrai » Kenya, celui qui est civilisé, habité et qui vit. Nous sommes surpris de découvrir tant de verdure, de végétation et d’eau. Nous sommes également étonnés de trouver des maisons sur trois niveaux, avec des tuiles et de l’électricité. Nous retrouvons également des magasins… avec des marchandises ! Et nous croisons des voitures, nombreuses dorénavant. Nous comprenons alors la différence entre la pauvreté du Kenya et la grande pauvreté de l’Ethiopie…
Nous découvrons aussi l’insécurité, le vol, la malhonnêteté et le racisme. Nous bivouaquions dans l’enceinte du poste de police, lorsque nous nous sommes fait voler la natte que nous utilisons pour nous asseoir sur le sol. Nous l’avons retrouvée 10 minutes plus tard… Ce sont deux gamins qui ont fait le coup. Sinon, les marchands ne rendent pas toujours la monnaie juste et comme ils utilisent une machine à calculer systématiquement… c’est difficile de croire à une erreur ! On ressent en outre dans le regard de certains et dans les comportements d’autres, un réel racisme à l’égard du blanc. Faut dire que dans les publicités qui passent à la télé chez eux, la lessive ne lave plus seulement plus blanc que blanc, elle renforce les tissus dorénavant ! C’est Coluche qui serait content de l’apprendre !!
Depuis l’Ethiopie, nous avions pris l’habitude de bivouaquer dans des endroits privés, derrière des clôtures. En Ethiopie, nous le faisions parce qu’il n’y avait pas toujours d’endroits où bivouaquer et pour éviter les attroupements excessifs autour de nous. Au Kenya, nous le faisons pour nous sentir en sécurité. A titre d’exemple, en arrivant à Nairobi, un homme s’est lancé en courant devant Casita ; il était poursuivi par un autre qui tenait un flingue à la main et tentait de le pointer sur le fuyard… 100 mètres plus loin, un policier s’est fait renversé par un taxi qui a continué sa route, tandis que d’autres minibus, évitaient les contrôles et s’enfuyaient systématiquement devant la police.
Prises de conscience
Nous avons effectué diverses prises de conscience ces derniers jours.
Faim, soif et sécheresse. Nous avons bivouaqué au poste de la Croix-Rouge. Cela nous a permis de comprendre leur intervention sur le terrain et l’ampleur du désastre qui se déroule dans les villages du nord du Kenya. Nous avons vu les gens couchés au sol, à proximité des postes de ravitaillement de première nécessité. Il n’est pas sûr que tous passent la nuit. C’est là. A côté de nous. Personne n’en parle. Pourtant depuis 5 ans, la région souffre de sécheresse et les gens meurent de faim.
Le stress du manque d’eau.
Nous ne pouvons plus faire nos pleins d’eau avec un tuyau "pépère" pour remplir nos 330 litres de réserve. Il nous arrive d’aller au puits ou à la rivière pour puiser deux bidons de 20 litres. Nous devons ensuite la filtrer au gant de toilette et la purifier. Pourtant, même ainsi, l’eau ne convient pas à certains de nos organismes et Véro et Sam ne peuvent plus en boire. Le problème, c’est qu’il n’est pas toujours possible de trouver de l’eau minérale… C’est quand elle est venue à manquer concrètement, ne serait-ce que quelques heures ou jours, que l’eau est devenue réellement précieuse à nos yeux.
La pauvreté. C’est en arrivant au Kenya que nous avons pris la mesure de la grande pauvreté dans laquelle vit l’Ethiopie.
La vie à bord : un programme et du travail en plus !
Nous avons ajouté à nos programmes du matin, de midi et du soir, le programme moustique. Il s’agit, à la tombée du jour, de se couvrir, fermer toutes les moustiquaires et se sprayer abondamment d’anti-moustique. Pas toujours agréable lorsqu’il fait 36°C.
Lessive. Depuis plusieurs semaines, nous avons dû nous résoudre à faire nos lessives à la main, avec l’eau de rivière.
Moral des troupes
Nous venons de terminer deux semaines de vacances… il paraît ! Dans les faits, on a rarement eu des vacances si épuisantes. Alors, nous sommes franchement heureux d’avoir terminé la piste. Nous avons en horreur les travaux sur les routes qui nous obligent à passer par les pistes et devenons carrément agressifs lorsque les routes asphaltées sont perforées de nids de poules. Nous en avons marre de nous faire secouer. Pour cela, nous avons décidé de nous rendre sur la côte de l’océan indien et d’y passer deux semaines de vacances… même en période scolaire, ce sera probablement plus reposant. Mais cela fait déjà partie de la suite de l’histoire…