Frontière mauritanienne
Le jour convenu nous roulons les 350 km qui nous séparent de la frontière. Casita ne se dégonfle plus. C’est déjà bien. Arrivés sur place, on s’installe pour la nuit, nous prévoyons de passer la frontière de bonne heure le lendemain. Sous le moteur, de l’eau. Nous ouvrons le capot. Fuite du radiateur. Casita transpire, dit Max. Elle aussi a peur je crois… Par chance, il nous reste une boîte de poudre magique pour radiateur. Nous la versons dans le réservoir du liquide de refroidissement et laissons tourner le moteur une heure. Plus rien, c’est sec. Tout est prêt pour demain. Toc-toc. Il faudrait vous déplacer pour la nuit et vous mettre déjà dans la queue. Soit. Sauf qu’au moment de mettre le moteur en marche, pas de réaction. La batterie ne répond pas. Ce ne sera finalement qu’un faux contact… mais quand même, c’est bizarre.
En nous couchant, nous ne pouvons nous empêcher de penser à la veille de notre départ pour le Tibet. Là aussi, le radiateur avait fui… Casita nous avait alors mis en garde. C’est plus tard, sur les pentes vertigineuses de l’Himalaya que nous avions compris le message.
Au petit matin, Thierry et Véro réalisent qu’ils n’ont pas mieux dormi l’un que l’autre. Véro pleure. Elle raconte son rêve. Thierry tait le sien. Cela fait une semaine qu’il fait le même genre de rêve éveillé, sans parvenir à se raisonner. Tantôt il imagine agir en héros, tantôt il se sait lâche. Les deux parents se regardent. Est-ce qu’on veut vraiment prendre le risque ? La réponse est claire : nous voulons voir cette partie de l’Afrique, mais pas prendre ces risques là. Et nos amis ? On ne peut pas les lâcher ! Si. Nous n’avons pas de visa de groupe cette fois, nous sommes libres de nos choix. Il suffit de leur expliquer. Mais voyons d’abord avec les enfants…
Quelques minutes plus tard, Thierry, désolé, annonce la décision familiale à Audrey et Nicolas. Ils comprennent. Leur ouverture et le respect dont ils font preuve pour notre choix nous soulage. Nous restons une partie de la matinée avec eux. Ils attendront là un autre équipage. Nous échangeons quelques cadeaux, plusieurs bonne chance et reprenons la route en sens inverse. Sur le chemin du retour, le voyant des freins s’allume. Thierry ne l’avait pas remarqué à l’aller. Une fois à Dakhla, le voyant s’éteint… Casita aussi semble satisfaite de notre décision.
Trop de signes. Trop de stress. Trop d’incertitude. Aucune envie surtout de prendre des risques. Aucune envie de regretter. Aucune envie de tout gâcher. Envie de profiter…
Et alors ?
Il faut une bonne journée à Véro pour digérer et se détendre. La tristesse qui l’envahit est lourde. La déception au moment de faire demi-tour est immense, autant que l’était l’envie d’y aller. Devant elle, c’est aussi le chemin du retour qui se présente désormais, pas vraiment la fin du voyage, mais plus vraiment les grandes découvertes qu’elle affectionne tant. Les enfants sont tout à la fois soulagés et déçus, leur plus grande crainte étant que l’un d’entre nous regrette cette décision. Pour Thierry, c’est un soulagement immédiat. Pour la première fois depuis longtemps, il se trouve avec du temps devant lui sans rien de prévu, de l’espace, de la liberté. Il sait qu’il en profitera pour rédiger le livre du voyage, trier les images et monter le film avec Véro, préparer les conférences et se rendre disponible pour l’école des enfants et la préparation des examens de Max. Pour lui, renoncer à l’Afrique pour l’instant, c’est se donner les moyens de réussir la rentrée et d’en profiter. Tout le monde est d’accord. Il reste néanmoins un goût d’inachevé pour tous les 6. Une envie inassouvie, une odeur d’Afrique non humée, une terre non foulée…
Autour de la table, nous nous faisons une promesse, solennelle. Peu après, les ondes s’entrechoquent dans les esprits, des idées nouvelles émergent, d’autres rêves naissent…